Le voyage en Amérique (suite et fin)
INDOOR
Me voici au moment de
clore ce « journal de voyage » un peu spécial et qui a duré plus
longtemps que prévu.
Je voudrais retrouver un
moment les impressions que m’a laissé ce séjour dans cette toute petite partie
des Etats-Unis. Et tenter de vous les communiquer.
D’abord j’ai trouvé les
gens très gentils. Compréhensifs, serviables, arrangeants, prompts à la
réponse, souriants de ce fameux sourire « Colgate » qui leur va si
bien !
C’est quand même très
agréable.
Ensuite, j’ai trouvé qu’il
y a des réponses rapides aux problèmes quotidiens par le biais d’une multitude
de jobs en place et qui sont l’interactivité exacte et efficace dont on a
besoin. Quand on vous charge vos courses à la caisse du supermarché ;
quand le concierge s’occupe de vos problèmes de colis, de chauffage et
n’importe quoi d’autre ; quand, à la caisse des magasins, on vous demande
si vous avez besoin de cash ; quand votre banquier vous explique comment
faire des économies immédiatement et vient en personne exécuter une manœuvre
inhabituelle au distributeur …
Bref, il m’a semblé que la
vie était facilitée et de ce fait plus agréable. C’est comme si on se sentait
plus en sécurité, dans un monde moins hostile et moins solitaire.
Pour un Français, cela
suppose de laisser tomber ses défenses naturelles, celles qu’il a construites
tout au long de son parcours et qui lui font dire pis que pendre de sa
concierge, cette vieille peau qui se terre dans son antre pour lire des
bouquins (cf « l’élégance du hérisson »), de son banquier qui ne
cesse de lui piquer du fric à la moindre manœuvre (cf vos relevés de
compte bancaire), de son accesseur d’accès à Internet qui donne d’un côté ce qu’il reprend en douce de l’autre (cf quand
vous résiliez un contrat, il y a des frais de dossier qui apparaissent
subitement et d’une manière inexpliquée : oh ! vous aviez oublié de
décocher une petite case, au moment de la signature, quel dommage pour
vous !).
This is the True French
Way of Life ! Quel bonheur !
Alors là, à ce stade du
récit, vous vous dites que, ça y est, en mangeant leurs hamburgers, délicieux
au demeurant, je suis devenue plus américaine que tous les Républicains
réunis !
Ce n’est pas vraiment
cela.
Mais certaines choses
m’ont l’air pas mal. Et peut-être bénéficie-t-on, en tant que français, d’un préjugé
plutôt favorable… D’où un empressement à nous être agréable ! Who
knows ?
Maintenant je voudrais
entrer un peu plus dans l’intimité
de mes pensées pour raconter que très vite, cet appartement de Juliette, je
l’ai baptisé « la maison aux oiseaux ».
Vous savez comment c’est,
quand on est en voyage, toute notre personne se reprogramme différemment :
on se met sur mode « capteur » et on est prêt à des choses
incroyables autrement.
Là, tous les matins,
j’étais éveillée extrêmement tôt pour commencer mon captage. J’assistais avec
gourmandise au lever du jour, des couleurs du jour, les cheminées crachaient
leurs poumons et les oiseaux commençaient leur gymnastique.
Extraits :
« 23 décembre 2009
Ce matin, dans cette
chambre douce, un peu vide, sur le bord du monde, le jour se lève lentement
avec, dans son ciel, quelque avion solitaire qui clignote vers sa destination
obstinée, et des nuées éparses d’oiseaux noirs qui ressemblent, avec leurs cris
sauvages, à des hooligans se rendant à un match d’enfer.
Les bâtiments émergent à
tour de rôle dans cette magie rose et grise, et les cheminées délivrent leur
empanachement de scène de théâtre. Le décor est prêt pour mon premier thé, mon
entrée dans cette journée, ponctuée d’un petit fond de radio comme je les aime.
Petit matin de Noël
J’aime cette heure,
décidément, celle du tout début, où le ciel se pomponne de bleu et de rose, où
les oiseaux s’élancent avec une joie évidente se refaire une santé en frôlant
les fumées.
Enfin ce matin, ces
maudits oiseaux nous chantent une Christmas carol en langue corneille :
c’est fort, criard et vindicatif.
Je me dis que dans les
romans policiers islandais c’est comme cela que le cadavre émerge d’un paysage
glacé : le rassemblement affamé des corneilles.
Mais là, la radio est allumée, réconfortante, un filet d’air frais passe dans la chambre, tout peut commencer…sans Juliette qui dort. Normal, elle a fini de monter les meubles bien après notre petit réveillon ! »
En fait, chaque matin,
après avoir ouvert les yeux sur le grand écran du monde (c’est
l’impression que donne la baie vitrée de la chambre de Juliette : d’être
aux premières loges), je les refermais un instant et j’élaborais dans ma tête
une nouvelle phrase pour ce nouveau jour, et je faisais en sorte qu’elle ne
ressemble pas à celle de la veille. Je me souviens très bien de ce jeu qui se
déroulait dans ma tête et auquel je prenais un grand plaisir gratuit. Puis je
me levais et commençais ma journée sur la pointe des pieds. Je ne notais plus
la phrase. Mais j’allais regarder les moineaux qui venaient un tout petit
instant sur le balcon. N’y trouvant rien, ils repartaient.
Puis un jour, un peu plus tard dans la matinée, oh surprise ! ce furent des tourterelles qui se blottirent sur la rambarde enguirlandée et qui restèrent là, non farouches.
Après petite
investigation, j’apprends que ces oiseaux s’appellent « tourterelles tristes » et non
« tourterelles de Turquie » comme je l’ai cru d’abord. J’aurais du
m’en douter, même pour les oiseaux, les services de l’immigration font leur
job !! Joking !
L’afflux de ces oiseaux me
fit conseiller à Juliette d’acheter des graines et de mettre de l’eau, mais
elle gelait trop vite, hélas !
Indoor, le thème des oiseaux était aussi présent et cela nous plaisait beaucoup. Comme un clin d’œil à ce qui se passait dehors.
Revenue en France, je suis
tombée par hasard, sur des représentations amusantes d’oiseaux, dont une où ils
arborent ce fameux bonnet à oreillettes que je trouve si drôle ! Je mets
tout cela dans l’album ci-joint.
Je m’aperçois aussi, en
regardant mes photos, que j’ai fait une petite collection de lumières.
Fascination ? Oui et non . Un plaisir illimité de mes yeux . Mais il fallait, pour que je puisse les
« catcher », que le mouvement s’arrête. Pas toujours évident…
Je vous en fais profiter
sous forme d’album.
Bien sûr, bien sûr, je
vais clore ce journal en ayant oublié mille et une choses, en ayant échoué à
vous rendre vivants certains moments qui l’ont été pourtant d’une manière si
savoureuse.
Comme cette traversée du
pont de Brooklyn le jour où il faisait le plus froid et où un vent fou nous
empêchait totalement de nous détendre. J’ai laissé Juliette prendre les photos.
Mon dos n’était qu’une bûche glacée.
C’est après cela qu’enfin
pour la première fois, dans Greenwich Village, j’ai eu droit à un vrai petit
expresso tout revigorant. Oh, quel délice !
Et le même jour, nous
avons mangé les hamburgers les plus « juicy » de New-York dans un
lieu évidemment bondé, le Corner Bistrot.
A côté de nous, une
japonaise solitaire et hygiéniste est venue prendre place et elle a demandé à
ses voisins de la prendre en photo à sa table (seul moment où elle a
souri : pour la photo). Elle avait auparavant sorti un jeu de couverts de
son sac et essuyé la table discrètement. Elle a mangé puis est repartie.
Nous, pendant ce temps-là,
on était débordé de l’autre côté par des groupes de beaux garçons, des
cols-blancs plutôt remuants et
vivants mais toujours soucieux de ne pas nous gêner. Quand nous sommes parties,
leur tablée commandait une deuxième tournée de hamburgers ! Servis avec
d’immenses chopes de bière bien sûr !
J’ai également écrit un
petit texte sur : « comment manger un hamburger avec
grâce ? », directement inspiré à la fois de ma propre expérience, et
d’une scène de film où Daniel Auteuil, exaspéré, finit par mettre le sien à la
poubelle. Voici :
« On en a partout,
dans la bouche, sur les doigts, sur la table et peut-être parfois, en broche,
sur le chemisier. Ça déborde, c’est trop gros, ça se renverse. La sauce finit
par sourdre d’entre les couches et par dégouliner le long de nos mains, des
copeaux de salade fuient comme des feuilles mortes ; ça tombe, déborde, se
désorganise au fur et à mesure que l’on croque dedans tout en appuyant dessus
pour essayer précisément de ne pas en perdre.
Et nous voilà, penchés en
avant pour éviter que toutes ces retombées maculent nos vêtements. On a presque
fini. On est barbouillés comme les enfants, du jus de viande au coin des
lèvres ; le fin papier qui entourait, au début, cette jolie chose ronde et
moelleuse comme un petit coussin, n’a pas freiné une minute ces débordements
divers et se retrouve à la fin, imbibé et froissé, inutile à essuyer même notre
bouche ou nos doigts.
Il nous faut trouver
d’autres serviettes en vitesse.
C’est tout simplement
impossible de manger ce truc-là proprement ! ou, encore mieux, vous
me montrerez…»
Est-ce la dernière image
que je veux laisser et vous laisser de mon séjour ?
A coup sûr non !
Il y a eu ce formidable
moment où, au retour de New-York, nous avons réceptionné le modem tant attendu,
qui nous a relié enfin au monde c’est-à-dire à vous, à la France, à Hélène et
Héloïse et Nelson au Portugal … à ce qui nous faisait battre le cœur.
Les petits doigts de
Juliette s’en sont donnés à coeur joie
et on s’est shooté à donf à la chanson française sur Deezer.
C’est cela maintenant
voyager : emmener partout son petit monde relationnel avec soi, au cas où
on se sentirait perdu !
THE END