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Compote aux épices
12 avril 2011

Les bas de la fiancée #2

 

 

Bernadette est venue me voir avec des verrines au  citron et du thé chaud : un bonheur. Sa présence est toujours réconfortante car il émane d’elle un dynamisme et un positivisme qui sont très agréables à gober.

L’autre soir c’est Rosette qui est venue avec son mari : Ils m’ont apporté des chocolats et sont restés juste assez pour faire du bien. C’était une vraie surprise.

Myriem, qui en connaît un bon bout sur les relevailles d’opération, est venue me réconforter et commence à me coacher énergiquement.

Elle a trouvé un joli truc pour moi : Alberte, tu es trop jeune pour être  vieille.

C’est mon bâton de dynamite : elle fait sauter les réticences, les peurs, les tentations de refuge, les pusillanimités.

 

Bon, j’ai besoin de me reposer. Cette limitation de mes forces est accablante. Je voudrais tellement en faire plus !

Enchaîner sur mon texte mortuaire par exemple.

Mais non, ma jambe me dit depuis un moment déjà qu’elle en a marre. Je fais semblant de ne pas l’écouter, mais elle insiste, elle s’ankylose.

Le plus fort c’est que, une fois au lit, je retrouverai la même gêne. Elle me dira qu’elle n’est pas bien.

 

Plus tard.

J’ai posé la question de cette fatigue extrême. On me répond :

-      les produits anesthésiques à éliminer

-      les médicaments anti-douleur que je prends en assez grosse quantité, génèrent aussi de la fatigue.

Bon, maintenant je sais : ou je me shoote pour ne pas avoir mal ou je suis plus tonique mais j’ai mal….

 

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On dirait le pas de tir d'Ariane... C'est juste sur le dessus de ma main.

 

Lundi 21 mars 2011

 

Pas tant que ça envie d’écrire sur ce journal.

Aujourd’hui, autre jour, jour blanc peut-être.

Tous les jours maintenant sont des jours de progrès.

Dans les couloirs : appels, cris, geignements, soupirs. Ils sont assez rares pour être soulignés.

Fleurs de printemps sous mes yeux. Ciel bleu à la fenêtre. Le brancardier disait que l’air d’aujourd’hui était doux.

 

Mardi 22 mars  2011

 

Tout ceci n’est plus drôle du tout. J’en ai assez d’être là, dans cet état, sans ressources. Je cherche ce qui me manque….

Je suis très triste et je ne tiens plus le coup.

 

Mercredi 23 mars 2011

 

Hier, je pleurai. J’étais dans un état émotionnel très sensible.

Sur moi-même pour commencer.

Mais quand j’ai voulu raconter à Hélène, les débuts très contrastés de l’état d’Israël, les différents jeux des Sionistes, de l’Irgoun et de la Haganah, l’attentat de l’hôtel du roi David contre les Anglais, enfin tous ces évènements intriqués et peu compréhensibles….j’avais la gorge serrée. La séquence mille fois réentendue du vote de l’ONU à une petite majorité de l’avènement de l’état d’Israël m’émeut toujours autant.

Tout ceci parce qu’un metteur en scène, deux je crois, se sont emparé du sujet au vue des travaux récents de jeunes historiens israéliens sur cette période et ont brossé une saga où évidemment, par le truchement de personnages, ils essayent de montrer une pensée non unique, non uniquement orientée. D’où une fresque très vivante, étonnante, détonante même. J’aimerais beaucoup voir ces films. Ils passent sur la 5. Il faudra que je me les procure dès qu’ils sortiront en DVD.

Mais surtout ce qui m’a interrogée hier, c’est pourquoi j’ai eu tant d’émotion à narrer à Hélène ce que je viens d’écrire là. En lui parlant des personnages. Le journal du grand-père anglais qui témoigne de son amitié pour certaines Israéliennes (on sait maintenant que ces jeunes femmes étaient en mission auprès des Anglais pour leur faire aimer Israël) et l’incompréhension devant la politique des attentats et en particulier celui dont il réchappe à L’hôtel du Roi David.

J’y ai donc réfléchi avant de m’endormir. Je fais partie de cette génération qui a bouffé de la cause israélienne sous toutes ses formes : films (Exodus), documentaires, etc.….En fait, j’ai du mal aujourd’hui a n’avoir pas une immense compréhension, une immense tendresse pour ce peuple. Et partant, un parti pris favorable.

Je ne veux pas m’étendre  tout de suite là-dessus. Je voulais juste témoigner de cette émotion qui est mienne lorsqu’on parle de la naissance de l’état d’Israël et d’où lui viennent ses racines. D’une certaine façon, j’ai été aussi endoctrinée.

 

Aujourd’hui, il semble que j’aille mieux. J’aurai deux visites : Myriem et Bernadette.

 

Jeudi  24 mars 2011

Jour de mon transfert à la maison de rééducation.

 

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Initialement, quand on est venu me dire qu’il y avait une place pour moi jeudi, on a même ajouté une heure précise, ce qui m’a étonnée : donc jeudi 24 à 13H30. Je l’ai même écrit pour ne pas l’oublier sur une feuille de sudoku que j’étais en train de résoudre.

 

Aujourd’hui est le jour J et j’ai quelques raisons d’être en colère. Sauf que je me suis calmée et ne le suis plus que d’un œil. Sinon ça va.

Donc, ce matin, à 5H58 sur mon mobile, une infirmière entre dans ma chambre, me demande si ça va et repart. Alors déjà je me demande pourquoi on ne me laisse pas dormir. Mais je me rendors doucettement sous ma couette en me disant que j’ai encore du sommeil à coincer.

7H22 une deuxième infirmière vient me réveiller pour me proposer de faire ma toilette. Je m’imagine, fraîche, propre, reluisante à 7H et demi, dans ma chambre, avec toutes ces heures à attendre devant moi ! Je l’envoie aux pelotes. Elle insiste comme dans la chanson Alouette : mais je vous laverai le dos, les jambes, je vous poserai vos bandes de contention. Vous êtes ma première cliente ce matin. Allez-vous-en trouver une autre première, mais pas moi. Merci. C’est ce que je lui ai dit.

Et puis cette manière qu’on a de vous proposer de vous laver les jambes comme si vous aviez passé la nuit à traverser des savanes sales, des bidonvilles crasseux et qu’une poussière grasse, noire et malodorante s’était incrustée dans votre peau pendant ce trajet nocturne.

La seule chose qu’on ne vous propose pas et qui serait la bienvenue c’est une séance de coiffure. Alors là oui ! Pas à sept heures et demi quand même, faut pas exagérer !

Dans l’intervalle, il est 9H 15 maintenant, j’ai effectivement fait ma toilette, j’ai fini mes bagages, j’ai pris mon petit-déjeuner et avalé mes médicaments. Et je suis fin prête. D’ailleurs, l’infirmière m’a dit qu’on venait me chercher à 10H30. Ça aussi, c’est surprenant. Les conditions changent et c’est tout juste si on vous prévient.

Enfin, je m’en fiche un peu.

Je suis prête.

 

 

Je vais ranger cet ordinateur. Boucler ce qui reste à boucler et me mettre dans un petit coin pour attendre.

Dans les hôpitaux, il faut savoir attendre.

 

Ah ! le bruit des couloirs d’hôpitaux ! Ça tient à la fois de l’usine, de la cantine, de la fête débridée et de l’atelier en surchauffe. Et tout d’un coup, du couvent. Je vous salue Marie.

 

 

Je suis rendue.

C’est un autre univers.

Oui, nous sommes environnés d’arbres.

Les chatons ont éclaté sur les branchettes, c’est magnifique. C’est Pâques avant Pâques.

J’ai une voisine de chambre.

Tout à l’heure je rangeais mes affaires et comme je faisais pas mal d’allées et venues, au bout d’un moment je m’assois et j’emploie une de ces expressions que disent les vieux quand ils sont fatigués, qu’ils sont arrivés au bout de leur énergie, une de ces petites phrases idiotes et banales, accompagnée d’un petit soupir. Mais je me suis dit que, oh la la, on n’en était pas loin. Qu’il faudrait que je me surveille.

Non, pas ça, pas encore.

 

En fait, la voisine a une visite et c’est extrêmement gênant pour écrire, même quelques phrases de rien du tout.

L’homme qui la visite a une belle voix, bien timbrée, un discours sûr. Et j’ai beau essayer de m’extraire de ça, je n’y arrive pas.

J’arrête. C’est trop agaçant !

 

Samedi 26 mars 2011

 

« Mais qu’est-ce qu’ils ont ce matin ! Ils veulent tous prendre des douches ! »

Et bien oui, une bonne douche, ça fait un bien fou. Moi, je ne suis   partante que pour prendre des douches voulues, joyeuses, dont l’eau vous refait une santé, sous lesquelles le corps se revivifie et dit merci de toutes parts. Des douches pour être propre, neuf, sentir bon, avoir les muscles détendus, la peau qui chante. Des douches quoi ! pas des devoirs de propreté.

Dans ces établissements, ils sont obsédés  (on les comprend) par la propreté mais d’une manière  imbécile presque.

Alors d’abord, ça vaut pour les jambes, je l’ai déjà dit. On veut tout le temps vous laver les jambes. On suppose que le reste, vous vous l’êtes lavé vous-même j’imagine . Ce matin, l’aide-soignante était catastrophée parce que je n’avais pas de chaussures pour revenir de la douche. Mais vous n’allez pas revenir pieds nus, vous allez vous salir ! Oui, c’est ça, le sol est parfaitement blanc, pas une tache, pas une poussière, on pourrait le lécher et vous dites que je vais salir mes pieds ! N’en croyez rien, mes pieds seront comme des sous neufs et vous pourrez me passer enfin les bas de la fiancée.

Et oui, beaucoup d’entre nous portent ces bas, très sexy, très séduisants, très coquins. Ce sont des bas de contention : alors quand on dit cela, c’est déjà moins glamour ! Mais la réalité est beaucoup moins horrible que le mot. Je les appelle les bas de la fiancée. Ils sont blancs, virginaux ; ils ont l’air toujours neufs, nouvellement enfilés. Ils nous donnent des airs de future épousée.

 

Manque de pot, je n’ai pas plutôt mis mon ordi en route pour écrire que la voisine a ouvert sa radio France bourgogne. J’ai droit aux nouvelles  locales. C’est très difficile de produire un discours sur une voix qui parle. Ça m’enlève même les idées. Tout d’un coup c’est comme si j’étais en panne.

 

J’ai fait une charmante ballade ce matin sous des cèdres, ce qui m’a permis de voir qu’ils ont produit leurs graines qui sont en train de germer sur place. Ça me donne une envie folle de les planter. Je vais voir si je peux me faire des alliés dans cette entreprise. Bernard peut-être tout à l’heure, Nelson demain ?

 

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Sinon, l’herbe foisonne de violettes, même des blanches. J’ai pris des photos.

 

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A ce propos, derrière, il y a une maison de retraite. Celle-ci est agencée de telle sorte, avec des bâtiments séparés, qu’il y a des passerelles couvertes qui relient un bâtiment à un autre ; sorte de couloirs de plein air abrités par une armature en demi-cercle dont les arceaux sont peints en vert. Tout ceci se situe entre les arbres, pour beaucoup des épineux, cèdres, pins, sapins. Ça a un petit côté japonais et l’on verrait bien une nouvelle de Yoko Ogawa se dérouler dans ce lieu. Est-ce que cela saurait m’inspirer ? Je ne sais pas, pour l’instant, aucune idée ne se pointe ; mais il est sûr que le lieu est inspirant pour moi à telle enseigne que je l’ai pris en photo sous différents angles.

 

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Le repas est arrivé, je dois fermer boutique momentanément.

 

Ce que j’ai dit plus haut me rappelle que j’ai été accueillie le premier jour par une jeune asiatique, élève infirmière, qui s’est présentée. Et j’ai trouvé que tout le reste de la « cérémonie » (c’est le seul mot qui me vient) s’est déroulé avec une précision, un dépouillement et une douceur très japonisants. Elle a déposé sur ma table roulante deux petites boîtes sphériques transparentes notées en écriture minimaliste MATIN et MIDI pour les médicaments et avec lesquelles ses doigts délicats et déliés ont joué un moment. Elle m’a baguée, comme les nourrissons, ce qui a été agréable pour moi : l’idée que je nais quelque part, que je suis neuve, qu’on m’étiquette pour ne pas se tromper, me repérer quoiqu’il arrive. J’ai ce bracelet fragile à mon poignet droit et il dit à tout moment qui je suis. Elle a eu du mal à me le mettre parce qu’elle s’y était prise à l’envers. Mais elle a refait la démarche méticuleusement pour voir comment ça marchait. Puis elle a noté différents renseignements, ma température, ma tension et m’a donné certaines explications.. Ce moment était empreint de calme, de précision et donnait à  mon installation un caractère sécurisant et apaisant. Comme d’habitude, il a fallu que je rajoute mon grain de sel personnel en lui faisant remarquer qu’elle avait de bien jolis sabots. Alors elle m’a répondu avec son délicieux accent, roulé comme des sushimis, que c’était la seule partie de l’uniforme où il leur était permis de mettre un  peu de fantaisie. Et une fossette s’est creusée dans sa joue rebondie dans le même temps que ses yeux reluisaient de malice féminine.

 

Par la suite, le lendemain peut-être, deux autres jeunes femmes se sont présentées à moi pour m’expliquer que j’avais la possibilité de choisir une personne de référence qui serait mon interface ici vis-à-vis du personnel. Comme elles ont présenté les choses avec des façons assez empruntées, un mélange de timidité, de clandestinité, d’hésitations, cela m’a fait une drôle d’impression. Vous pouvez le faire, mais vous n’êtes pas obligés de le faire….ce genre. C’est alors que ça devient soupçonneux. Et plus je posais de questions et moins c’était clair. Et plus elles étaient empruntées. Et ce manège a duré jusqu’au bout. Vous pouvez garder le dépliant et le formulaire d’inscription si vous voulez. Mais finalement, elles l’ont repris. Oui. Non. Enfin c’est comme vous voulez. De la sorte j’avais l’impression qu’on voulait me forcer la main pour quelque chose que je ne comprenais pas tout en me disant que j’étais entièrement libre. Rien de plus ambigu. Elles avaient l’air d’anges conspirateurs. J’avais l’impression qu’on voulait m’enrôler dans une secte. Pas moins.

Et puis la scène s’est estompée. Je n’y ai plus pensée. Jusqu’à ce qu’une autre personne revienne à la charge hier. Cette fois-ci d’une manière un peu moins mielleuse, un peu plus directe. Vous n’avez pas rempli le papier concernant la personne de confiance. En effet, je n’avais pas l’intention de le faire. Alors il faut l’écrire et signer.

Depuis, plus rien. J’attends la troisième attaque.

En fait, s’est sûrement un truc plutôt bien conçu, pratique et qui permet une triangulation dans la communication. Ce qui peut s’avérer efficace et créer un rapport moins tendu avec l’institution. C’est du moins ce que j’ai fini par comprendre. Mais c’est présenté d’une manière si étrange qu’on croirait qu’il s’agit de tout autre chose, d’un truc louche en tous les cas.

 

Sans transition, je voudrais  parler du changement qui s’opère en moi concernant ma capacité d’écoute. La radio est de longue date une compagne vivante et choisie de mes journées, voire de mes nuits. De même que lorsque je me suis mise à tricoter, j’ai apprécié d’écouter des livres enregistrés et j’ai trouvé aussi ce compagnonnage plaisant.

 Ici, je n’arrive pas à capter ma longueur d’onde : exit la radio. Et l’essai que j’ai fait d’un livre-audio n’a guère était concluant. Trop de parasitages permanents des allées et venues, des interruptions qui altèrent complètement le texte littéraire.   Au début j’ai trouvé ça vraiment embêtant pour moi, j’ai cru que je n’arriverais pas à me passer de certaines rubriques radiophoniques qui me plaisent tant. Mais je m’aperçois que je survis. Et même que cette absence d’un locuteur permanent a quelque chose de reposant pour l’esprit. Même si, en soi, écouter la radio est une activité délassante.

J ‘ai essayé aussi la musique, mais le constat est le même : ça me dérange.

Ces activités d’écoute  ressemblent pour moi à une effraction dans la vie qui de déroule ici et qui est tournée autrement.

 

Voilà, j’ai pas mal écrit. J’attends Bernard. Il vient de faire une averse. De la fenêtre ouverte de ma chambre, la pluie s’entend d’abord dans la pinède et le bruit qu’elle y fait ressemble à un bataillon de fourmis s’amenant en douce à l’assaut du bâtiment, puis elle vient tambouriner sur la taule du gymnase, bruit nettement plus guerrier. Avec ses sons, une petite rafale de frais et l’odeur musquée des pins pénètrent et nous surprennent.

J’aime beaucoup ça.

Je te quitte Palourde.

 

                                                                                              (à suivre...)

 

 

 

 

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Commentaires
G
enfin, tu nous a révélé l'"affaire des bas" ! :)
G
extraordinaire comme tu a bien rendu l'ambiguité de la proposition de choix de la personne de référence. J'adore la description de ces moments où la vie prend un chemin différent de celui où l'on voudrait l'amener : on voulait te communiquer une proposition et c'est une ambiguité qui t'arrive, on souhaitait te faire agir et tu te bloques, te faire faire un pas en avant (dans un procédure) et tu recules (tu deviens méfiante).<br /> Comme ces fois où l'on voudrait dire qq chose, faire un geste mais on ne le dit pas, on ne le fait pas... Et la vie prend un tournant.
S
Oh c'est gentil ma fille . Je suis plus modeste, j'observe, et comme j'aime écrire, j'écris. Depuis le temps que j'en avais envie ! Je veux dire, d'avoir enfin le temps de le faire.
H
ça y est j'ai lu la 2ème partie; c'est poétique et joli. Tu as la capacité de transformer certains instants de vie en morceaux choisis... finalement c'est ça la littérature: transcender le quotidien, et transporter le lecteur ailleurs, dans un univers autre!<br /> Des bises. <br /> H.
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